// 12.2013
(…) on voudrait pouvoir s’arrêter, regarder simplement l’aube qui vient, poser la main sur la pierre froide, saluer la lumière, dire les premiers mots, écouter le crissement du sable, le feu de l’air, le bruissement de l’eau, la rumeur des choses qui commencent mais le jour est déjà le soir, on n’a rien pu saisir, on reste vacant à regarder ses mains dans l’éclat des lampes ou sur la vitre l’attente du visage noir, on se perd, on se retrouve, il y a des silences remplis de voix, des matins tombés comme des soirs, plus on avance et moins on sait, on cherche demain entre des mots qui disent hier, ce qu’on a gagné on l’a perdu, comparé à ce qu’on a été on n’est rien, disait-il, mais c’est un rien qui insiste, on guette entre les signes du corps l’imperceptible grignotement tandis que sur la fenêtre brille une sorte de splendeur, on voudrait y entrer, être le courant et à la fois se voir couler, on cherche, les choses semblent n’avoir pas bougé mais quand on veut les prendre, les toucher, simplement, c’est comme si elles reculaient et s’effaçaient ne laissant sur les doigts qu’un peu de poussière à peine, quelque chose qui peut-être ressemble à l’oubli, et c’est dans cet oubli qu’on ne cesse d’avancer, au moment où l’on croit ne plus rien tenir, c’est là, un éblouissement minuscule, on est perdu.
Jacques Ancet, L'identité obscure
Le grincement de la pompe est aussi indispensable que la Musique des Sphères.
Pour être seul, je trouve qu’il est nécessaire d’échapper au présent. Je cherche une mansarde, où les araignées ne doivent pas être dérangées, ni le plancher balayé, ni la charpente remise en état.
Henry David Thoreau
// 12.2013
// 12.2013
// 12.2013
Ça vient, c'est déjà reparti. Tu crois que c'est le temps, mais non. Autre chose. Comme une effervescence minuscule: tu fais un lit, tu marches dans une rue quelconque et c'est là. Comme une clarté au milieu du jour, mais sans lumière. Sans rien d’autre pour le dire que quelques mots, soudain, très simples — table, cri ou silence ou nuit… — et qui insistent. Alors, tu les prends: ils forment de petits organismes brefs, pareils à des coquillages que tu porterais à l'oreille pour écouter. (Tu crois que c'est le bruit de la mer, mais non). Ou des cristaux brûlant du même éclat multiplié, mais d'où venu? Tu regardes autour de toi: montée d’escalier, mur, visage, cuvette, matin sur la vitre. C'est comme une vague unique, silencieuse, invisible. Toutes les choses la reflètent et, en même temps, elles y brillent, s'y effacent. Ça vient, oui, mais c’est immobile. Ce n'est rien de ce que tu peux dire. Mais tu parles, malgré tout. Pour écouter entre les mots, comme dans le coquillage. Ce vide bruissant. Tu dis chut!, écoute. Mais ce n'est rien. Tu dis: c'est l'imperceptible.
Jacques Ancet, L'imperceptible
// 12.2013
// 12.2013
(...) nous reprenons dans nos mémoires le cours de nos vies, parfois des années après, sans que nous puissions nous y attendre, d’une façon si naturelle qu’il semble que nous ayons arrêté l’intimité d’un geste ou d’une conversation et que le temps ne soit ni brisé ni même suspendu, mais qu’il ait glissé sous un autre temps qui en aurait été en quelque sorte la matière ou la caution, de sorte que ce temps en réapparaissant continue au lieu de rompre et nous continue au lieu de nous rompre dans notre geste et dans notre conversation.
Ludovic Degroote, extrait de Monologue
// 12.2013
J’ignore ce qu’on peut s’approprier de ce qui a disparu ou gravite autour de la disparition, c’est comme s’il s’agissait de parler avec une autre langue alors qu’on essaie seulement d’atteindre la sienne, dont on a parfois l’impression qu’elle est si bien immergée qu’elle devient inatteignable, alors que ce qui est inatteignable c’est ce qu’on doit dire, qui ne peut se dire qu’à travers une forme immergée dont nous ne voyons pas les reliefs, parce que la disparition nous heurte aux poncifs.
Ludovic Degroote, extrait de Monologue
// 12.2013
// 12.2013
// 12.2013
// 12.2013
et même lorsque nous cherchons à être nous-mêmes, et que nous croyons l’être, ou l’être devenus, au bas de la pente que nous fabriquons en la gravissant, ce que nous reprenons n’est jamais séparé de ces moments où nous prenions appui sur les autres pour croire nous en détacher, nous emmenons nos paquets de fantômes, et nos paquets pèsent lourd
Ludovic Degroote, extrait de Monologue
// 12.2013
// 12.2013
// 11.2013
// Vagabond
Son coeur s'est emballé. Il est monté trop haut. Tellement haut. L'altitude en arythmie. Un monde vide à une longueur de cheveu, imperceptiblement palpable, improbable, mouvant. Puis, il y a eu comme une détonation. Un bruit assourdissant. Sous le coup, mon corps s'est plié en deux. La longue route de l'acouphène hurlant, dans les girophares affolés du silence. Quand je me suis retournée, les montagnes marchaient, les pics s'offraient au vent, la tête tendrement renversée.
// 11.2013
Morceau d'écorce, impression
Un poème me réveille
et m'accompagne au dehors.
Plus tard un autre poème
m'accompagne jusqu'au sommeil.
Entre deux poèmes flotte le temps
comme un cerf aux aguets
qui ignore le sommeil et les poèmes.
Roberto Juarroz, XIIIème Poésie Verticale
// 11.2013
// 11.2013
Peu de signes par pages, et parfois la page est vide. Je tresse mes mots : des discontinuités et des brièvetés, je fais, ou j'essaie de faire, entrelacs et liens. Ou des quelques poussières, de faire agglomérat :
"Qui peut déjouer le scepticisme ?
Je ne suis que la poussière du Temps."
Jean Herold Paul, extrait de la préface de Je tresse mes mots
// 11.2013
// 11.2013
// 11.2013
Je creusai ma cave dans le flanc d'une colline, là où une marmotte avait autrefois creusé son terrier, à travers des racines de sumac et de ronce, et tout l'opprobre de la végétation, six pieds carrés sur sept de profondeur, jusqu'à un sable fin où les pommes de terre ne gèleraient pas, quelle que fût la rigueur de l'hiver. Les côtés furent laissés en talus, et non maçonnés; mais le soleil n'ayant jamais brillé sur eux, le sable s'en tient encore en place. Ce fut l'affaire de deux heures de travail. Je pris un plaisir tout particulier à entamer ainsi le sol, car il n'est guère de latitudes où les hommes ne fouillent la terre, en quête d'une température égale. Sous la plus magnifique maison de la ville se trouvera encore la cave où l'on met en provision ses racines comme jadis, et longtemps après que l'édifice aura disparu la postérité retrouve son encoche dans la terre. La maison n'est toujours qu'une sorte de porche à l'entrée d'un terrier.
Henry David Thoreau, extrait de Walden ou la vie dans les bois
// 11.2013
// 11.2013
// 11.2013
La vie est un voyage expérimental, accompli involontairement. C'est un voyage de l'esprit à travers la matière et, comme c'est notre esprit qui voyage, c'est en lui que nous vivons. Il existe ainsi des âmes contemplatives qui ont vécu de façon plus intense, plus vaste, plus tumultueuse que d'autres qui ont vécu à l'extérieur d'elles-mêmes. C'est le résultat qui compte. Ce qui a été ressenti, voilà ce qui a été vécu. On peut revenir aussi fatigué d'un rêve que d'un travail visible. On n'a jamais autant vécu que lorsqu'on a beaucoup pensé.
Fernando Pessoa, extrait Le livre de l'intranquilité
// 11.2013
// 10.2013
// 10.2013
// 10.2013
// Travaux d'aiguille
// 10.2013
// 10.2013
Il te semble que tu pourrais passer ta vie devant un arbre, sans l’épuiser, sans le comprendre, parce que tu n’as rien à comprendre, seulement à regarder : tout ce que tu peux dire de cet arbre après tout, c’est qu’il est un arbre, racine, puis tronc, puis branches, puis feuilles. Tu ne peux en attendre d’autre vérité. L’arbre n’a pas de morale à te proposer, n’a pas de message à te délivrer. Sa force, sa majesté, sa vie - si tu espères encore tirer quelques sens, quelque courage, de ces anciennes métaphores - ce ne sont que des images, des bons points, aussi vains que la paix des champs, que la traîtrise de l’eau qui dort, la vaillance des petits sentiers qui grimpent pas bien haut mais tous seuls, le sourire des côteaux où les grappes mûrissent au soleil.
C’est à cause de cela que l’arbre te fascine, ou t’étonne, ou te repose, à cause de cette évidence insoupçonnée, insoupçonnable, de l’écorce et des branches, des feuilles. […] Mais l’arbre ne te demande rien. Tu peux être Dieu des chiens, Dieu des chats, Dieu des pauvres, il te suffit d’une laisse, d’un peu de mou, de quelque fortune, mais tu ne seras jamais maitre de l’arbre. Tu ne pourras jamais que vouloir devenir arbre à ton tour.
Georges Perec, extrait de Un homme qui dort
// Eric
// 10.2013
// 10.2013
Quand le monde s'amincit
comme s'il était à peine un filament,
nos mains inhabiles
ne peuvent plus se saisir de rien.
On ne nous a pas appris
le seul exercice qui pourrait nous sauver :
apprendre à nous sustenter d'une ombre.
Roberto Juarroz, XIIIème Poésie Verticale
// 10.2013
// 10.2013
// 10.2013
// Livre à venir
Photographie pour la couverture de Soin et fin de vie : pour une éthique de l'accompagnement
de Michèle Saint Jean, éditions PUM
// 10.2013
// 10.2013
// 10.2013
Tomber au dedans de la cécité même.
Aller chercher la lumière
dans le vide que laissa sa source.
Voir est une étrange cérémonie
qui parfois se renverse.
Ne pas voir n'est qu'une autre vision.
Les lampes éteintes
souvent se rallument
à leur propre épuisement.
Roberto Juarroz, XIIIème Poésie Verticale
// 10.2013
// 09.2013
// 09.2013
// 09.2013
// 09.2013
// 09.2013
// 09.2013
// 09.2013
// 09.2013
Entre la vie que l'on vit et celle que l'on sent, que l'on devine, que l'on voit de loin, il y a cette frontière invisible [tracée autour de l'homme], telle une porte étroite où les images des événements doivent se faire aussi petites que possible pour entrer en nous.
Robert Musil, Les désarrois de l'élève Törless
Si l’on pouvait mesurer les sauts de l’attention, l’activité des muscles oculaires,
les oscillations pendulaires de l’âme et tous les efforts que l’homme doit s’imposer pour se
maintenir [...], on obtiendrait probablement [....] une grandeur en comparaison de laquelle
la force dont Atlas a besoin pour porter le monde n’est rien, et l’on pourrait mesurer
l’extraordinaire activité déployée de nos jours par celui là même qui ne fait rien.
Robert Musil, L’homme sans qualité
// 09.2013
La terre et ses nerfs, et ses préhistoriques solitudes, la terre aux géologies primitives, où se découvrent des pans du monde dans une ombre noire comme le charbon.
Antonin Artaud, extrait de L'art et la mort
// 09.2013
// 08.2013
// 08.2013
// 08.2013
La part et le plein
C’est partir de l’idée qu’une image ne remplit pleinement son existence que quand elle oppose une perspective dans le regard de celui qui est devant elle.
Et se rappeler que la part d’un gâteau provient d’un tout, que chaque part suffit à remplir chaque ventre.
Que la part d’éternité que l’on vit est la seule disponible, la seule valide.
Que notre rapport aux autres est un mystérieux et mouvant mélange du bébé oublié, de l’enfant qui sommeille toujours, du sauvage qui n’a rien d’un barbare, d’un être de raison et d’un maître de l’absurde...
Qu’il est mieux de prendre part que de prendre la part.
Que la vie est en grande partie imaginaire, que les « trous » dans le réel, sont aussi importants que la matérialité des choses, que le miroir est rempli du monde, plus un.
Que notre pulsion primitive est sensible au très complexe et au plus élémentaire.
Que faire la part des choses, ce n’est pas faire en sorte que les choses partent.
Que le pli du paysage commence à la lisière de la peau et du poil.
Que la part du monde qui surgit devant nous n’a pas nécessairement de sens.
Qu’un travail d’auteur se fait d’abord en partant du vide et à part de soi.
Que notre perception du concret est partielle et partiale, que tout est mouvement, en perpétuel carambolage.
Qu’à part tout ce qui ne va pas, tout le reste va bien.
Que c’est dans le quotidien qu’on fait le plein.
Et que la lumière impose le silence !
Alain Janssens, 18 janvier 2009
Ce magnifique texte est extrait du siteweb de photographies d'auteur d'Alain Janssens.
// 08.2013
Épelées entrouvailles Formes éconduites, essence " Aparté " Plus le mot s'éloigne Plus la phrase dévore Et plus le lien s'émeut, Plus l'écriture détruit Et plus je me sens vôtre.
Matthieu Messagier, Erosion, extrait de Géologie historique et autres poèmes
// Gebruikswijze
// 08.2013
// Condroz
Merci Jacky Lecouturier pour ce bel album souvenir du Condroz !
A voir ici
Merci aussi à chacun pour vos mots si touchants...
// Arc-en-terre
// 08.2013
// 08.2013
// 08.2013
// 08.2013
// 07.2013
Voici le joli catalogue de la biennale en souvenir...
Et un aperçu de l'expo avec une photographie extraite de la Rue des mûriers -
papier mat et contrecollage sur chêne, 13x19x4cm
Milles mercis à Emmanuel, Pierre & Jacky pour m'avoir fait confiance, et tout autant à Bernard, Andie & Julien sans qui je serai encore à l'heure qu'il est en train de tailler du bois à l'opinel !!
// 07.2013
// Les seules images
"Je navigue à vue ... sur une vaste mer plate."
"Mon animal-totem"
// Biennale en Belgique
Avec Elina Brotherus, Brieuc Camelia, Christophe Collas, Anne-lise Cornet, Olivier Cornil, Amaury Da Cunha, Anne De Gelas, Bénédicte Deramaux, Artur Eranosian, Babé Fournier, Daniel Fouss, Vito Gisonda, Benoît Grimalt, Soraya Hocine, Alain Janssens, Nicolas Kozakis & Raoul Vaneigem, Lucas Landi, Véronique Marit, Samuel Nicolaï, Armand Quetsch, David Widart, Andie Wilkinson, Hugues de Wurstemberger, Kasimir Zgoreck
Du 3 au 25 août dans le Condroz
Toutes les infos ici >
www.biennaledephotographie.be/introduction
// 07.2013
«Bien sûr, l'expérience familière de ce que nous voyons semble le plus souvent donner lieu à un avoir : en voyant quelque chose, nous avons en général l'impression de gagner quelque chose. Mais la modalité du visible devient inéluctable - c'est-à-dire vouée à une question d'être - quand voir, c'est sentir que quelque chose inéluctablement nous échappe, autrement dit : quand voir, c'est perdre. Tout est là.»
Georges Didi-Huberman, extrait de Ce que nous voyons, ce qui nous regarde
// 07.2013
// 07.2013
// 07.2013
«L'homme en tant qu'homme ne peut vivre horizontalement. Son repos, son sommeil est le plus souvent une chute.»
Gaston Bachelard, extrait de L'air et les songes
"Parfois, dans nos rêves de vol, nous croyons aller bien haut, mais nous ne sommes alors qu'un peu de madère volante. Et les cieux que nous escaladons sont des deux tout intimes — des désirs, des espoirs, des orgueils. Nous sommes trop étonnés de l'extraordinaire voyage pour en faire une occasion de spectacle. Nous restons le centre même de notre expérience onirique. Si un astre brille, c'est le dormeur qui s'étoile : un petit éclat sur la rétine endormie dessine une constellation éphémère, évoque le souvenir confus d'une nuit étoilée."
Gaston Bachelard, extrait de Le Droit de rêver, chap. L'espace onirique
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